Libération.fr - Economie - mercredi 03 août 2005 (Liberation - 06:00)
Les producteurs du sud de la France dénoncent l'engorgement du marché.
La poire d'Afrique du Sud, nouveau fruit de la colère
Par Jean-Paul ROUSSET
mercredi 03 août 2005 (Liberation - 06:00)
Châteaurenard (Bouches-du-Rhône) envoyé spécial
C'est la poire par laquelle le scandale est arrivé. Aujourd'hui, la cellule d'alerte de l'Oniflhor (Office national interprofessionnel des fruits et légumes et de l'horticulture) prévoit de dresser le bilan, calamiteux, du début de saison de la poire française d'été, écrabouillée par ses concurrentes sud-africaines. Le ministère de l'Agriculture était déjà monté au créneau vendredi, annonçant le déclenchement du dispositif de «gestion de crise». Une façon de temporiser la colère montante des agriculteurs de la région de production Rhône-Méditerranée, principales victimes.Promotion de Lidl. Ces derniers s'étaient donné rendez-vous hier au marché d'intérêt national (MIN) de Châteaurenard, au premier rang européen avec ses 300 000 tonnes de fruits et légumes échangés chaque année. Quelques représentants du syndicat agricole de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs, quelques élus locaux et beaucoup de mécontents. «La filière fruits est en crise depuis 1992, explique Jérôme Ange, animateur départemental de la FNSEA. Mais cette année, ça a mal démarré avec la cerise et l'abricot. Maintenant, pour la poire et la pomme, ça s'annonce plutôt mal.» C'est donc la rafraîchissante poire «Dr Jules Guyot» qui se retrouve, cette année, au coeur de la crise de la filière. Cette poire précoce, récoltée en été, est attaquée par la concurrence étrangère, et ce, avant même de rejoindre les étals. Et c'est un événement presque anecdotique qui a mis le feu aux poudres, opposant une fois de plus les agriculteurs à leur ennemie favorite, la grande distribution. «Une promotion de Lidl est parue dans la presse locale du Gard pour des poires d'Afrique du Sud à 90 centimes, racontent des manifestants venus à Châteaurenard. On est allés vérifier leurs stocks, ils avaient juste quelques caisses.» Au ministère, on admet que le moment de cette promo était mal choisi. «C'est une fausse promotion, expose Claude Faucher, conseiller technique sur les productions végétales ; les poires d'été auraient même pu être vendues moins cher.» A condition d'atteindre les étals.
Seulement voilà, les chaînes de distribution se sont engagées sur des quantités et des prix précis de ces fruits étrangers, et souvent plusieurs mois auparavant. Donc il faut bien écouler les stocks. Et évidemment, pas question, alors, de proposer de la poire française précoce. Cet engorgement a ruiné le démarrage de la poire Guyot, qui ne se vend pas. Dès le 15 juillet, quatre jours seulement après sa première apparition, son prix de vente par les producteurs avait chuté de 36 %, pour tomber sous les 50 centimes le kilo. Et selon le critère officiel défini par le Service national des marchés (SNM), cette chute de plus de 25 % en plusieurs jours mettait la poire en «situation de crise».
«Fatal». «Le marché est saturé de poires sud-africaines en fin de saison, détaille Jean-Marie Fabre, producteur à Sénas (Bouches-du-Rhône). Des cargos qui devaient normalement livrer les pays de l'Est ont fini par décharger à Rotterdam. Du coup, l'Europe est inondée : on ne peut plus vendre de Guyot en Allemagne et en Angleterre non plus.» A 57 ans, il est installé dans un véritable sanctuaire de la poire d'été, situé à une trentaine de kilomètres au sud d'Avignon. Avec Jean-Noël, son fils de 30 ans, il estime pourtant ne pas être parmi les plus mal lotis et croit en la pérennité de son entreprise. «Au niveau de prix actuel, c'est difficile, mais je peux encore m'en sortir, poursuit-il. Pour certains, ce sera fatal.» Hier, le kilo de poire Guyot locale affichait 1,35 euro dans une grande surface d'Avignon. «Pour un producteur qui assure le conditionnement, ça rapportera 40 centimes, pour celui qui livre en vrac, pas plus de 20. Impossible de survivre à ce tarif», conclut Jean-Marie Fabre. C'est bien le sentiment de Christian Sasso, qui, à 56 ans, représente la quatrième génération de producteurs de poires de sa famille. «Voir la Guyot à ce prix, ça fait mal. On essaie d'être au top, on est compétitifs, on a tenu le coup. C'est à croire que nos politiques ne veulent plus de nous», lâche-t-il, visiblement désemparé.
Arme ultime. A l'assemblée générale du MIN de Châteaurenard, quelques élus répondaient pourtant à l'appel. De fidèles défenseurs de la filière fruits et légumes, qui s'en remettaient à la réunion d'aujourd'hui à Paris. Celle-ci pourrait mettre en application le «coefficient multiplicateur maximal» (lire ci-contre), l'arme défensive ultime, dont les producteurs réclament l'utilisation. Au ministère, on souhaitait encore, lundi, en rester à un soutien promotionnel et éviter d'éventuels débordements. Au MIN d'Avignon où a eu lieu, hier après-midi, une autre réunion d'agriculteurs, sept cars de CRS tenaient lieu de comité d'accueil.